La présence en quantité suffisante de matière organique dans les sols est essentielle pour des questions de fertilité (nutriments), de biodiversité (habitats, source d’énergie), de structure des sols (aération, résistance à l’érosion, à la battance[1], à la compaction), de circulation de l’eau (infiltration, rétention), de stockage de carbone (lutte contre les changements climatiques) et d’immobilisation/dégradation de certains polluants (effet filtre).
Gradient croissant du nord-ouest au sud-est
Les teneurs en COT dans les sols agricoles suivent globalement un gradient croissant du nord-ouest au sud-est de la Wallonie, reflétant les variations géographiques en termes de climat, d’occupation et de type de sol. Le climat plus froid et plus humide de l’Ardenne ralentit l’activité biologique des sols, d’où une décomposition et une minéralisation plus lentes de la MO qui tend à s’accumuler. Les sols sous prairies permanentes, en proportion plus élevée à l’est et au sud de la Wallonie, présentent des teneurs en COT plus élevées que les sols sous cultures en raison notamment d’une rhizosphère[4] plus dense et de l’absence de labour. Enfin, tout autre facteur restant égal, la MO est plus accessible aux attaques biologiques dans les sols à texture sableuse, ce qui peut expliquer les teneurs en COT plus faibles en régions sablo-limoneuse ou jurassique (pour partie) p. ex.
* Teneurs en surface prédites par modélisation à partir des données REQUASUD collectées entre 2015 et 2019 (39 086 échantillons d'horizons de surface de sols sous cultures et 8 277 échantillons d'horizons de surface de sols sous prairies permanentes ; prairies temporaires non incluses dans l'analyse) - Maille de 90 m x 90 m
Des sols trop pauvres en matière organique en zones de grandes cultures
Les sols dont les teneurs en COT sont inférieures à 20 gC/kg présentent un risque accru d'instabilité structurale[5], avec des conséquences potentielles en termes de sensibilité à l'érosion[6] q. Les sols sous cultures échantillonnés sur la période 2015 - 2019 présentaient une teneur moyenne en COT de 13,3 gC/kg. La part de superficie wallonne cultivée concernée par des teneurs en COT inférieures ou égales au seuil de 20 gC/kg était estimée pour cette période à 90 % (soit près de 375 000 ha). Entre les périodes 2004 - 2014 et 2015 - 2019, les teneurs en COT des sols sous cultures ont baissé de 11 % en Ardenne et de 18 % en Région jurassique. Entre les périodes 1949 - 1972[7] et 2004 - 2014, les sols sous cultures avaient subi une diminution moyenne de 20 % de leurs teneurs en COT(b). L'ensemble de ces données indique une situation préoccupante pour les sols sous culture.
Les sols sous prairies permanentes échantillonnés sur la période 2015 - 2019 présentaient une teneur moyenne en COT de 36,7 gC/kg. La part de superficie wallonne sous prairies permanentes concernée par des teneurs en COT inférieures ou égales au seuil de 20 gC/kg était estimée pour cette période à 1,4 % (soit près de 4 400 ha). Entre les périodes 2004 - 2014 et 2015 - 2019, les teneurs en COT des sols sous prairies permanentes ont baissé de 10 % en Région limoneuse, de 3 % en Haute Ardenne, de 8 % en Ardenne et de 11 % en Région jurassique.
Plusieurs facteurs (pratiques culturales, historique cultural, canicules et sécheresses saisonnières de 2016 à 2019…) peuvent expliquer les baisses de teneurs en COT observées dans les sols agricoles, sans qu’il soit possible de les confirmer à ce stade sans études complémentaires.
Part de la superficie agricole cumulée en fonction des teneurs en carbone organique total des sols (COT)* en Wallonie (2015 - 2019)
Part de la superficie agricole cumulée en fonction des teneurs en carbone organique total des sols (COT)* en Wallonie (2015 - 2019)
* Teneurs en surface prédites par modélisation à partir des données REQUASUD collectées entre 2015 et 2019 (39 086 échantillons d'horizons de surface de sols sous cultures et 8 277 échantillons d'horizons de surface de sols sous prairies permanentes ; prairies temporaires non incluses dans l'analyse)
* Teneurs en surface prédites par modélisation à partir des données REQUASUD collectées entre 2015 et 2019 (39 086 échantillons d'horizons de surface de sols sous cultures et 8 277 échantillons d'horizons de surface de sols sous prairies permanentes ; prairies temporaires non incluses dans l'analyse)
Teneurs en carbone organique total (COT) des sols sous cultures* en Wallonie (2015 - 2019)
Régions agricoles | SAU** (ha) |
n*** | Teneurs en COT (gC/kg) | Évolution entre les périodes 2004 - 2014 et 2015 - 2019 |
||
Moyenne | Percentile 25 | Percentile 75 | ||||
Région sablo-limoneuse | 36 820 | 4 553 | 11,4 | 9,7 | 12,6 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
Région limoneuse | 212 283 | 22 476 | 11,9 | 10,6 | 13,0 | Différence non significative |
Campine hennuyère | 798 | 17 | 13,0 | 10,0 | 15,0 | Différence non significative |
Condroz | 86 602 | 8 212 | 14,5 | 12,0 | 16,0 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
Famenne | 23 643 | 1 449 | 18,6 | 14,0 | 22,0 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
Fagne | 4 658 | 308 | 17,4 | 14,0 | 20,0 | Différence non significative |
Région herbagère | 9 297 | 1 227 | 21,5 | 15,0 | 27,0 | Différence non significative |
Haute Ardenne | 2 574 | 108 | 32,0 | 28,0 | 35,0 | Différence non significative |
Ardenne | 30 570 | 581 | 28,6 | 24,0 | 33,0 | - 11 % |
Région jurassique | 8 764 | 155 | 14,6 | 11,7 | 16,7 | - 18 % |
Toutes les régions | 416 009 | 39 086 | 13,3 | 11,0 | 14,0 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
* Teneurs observées dans 39 086 échantillons d'horizons de surface de sols sous cultures (données REQUASUD 2015 - 2019)
** Superficie agricole utilisée (sols sous cultures, moyenne sur la période 2015 - 2019)
*** Nombre d'échantillons analysés
Teneurs en carbone organique total (COT) des sols sous prairies permanentes* en Wallonie (2015 - 2019)
Régions agricoles | SAU** (ha) |
n*** | Teneurs en COT (gC/kg) | Évolution entre les périodes 2004 - 2014 et 2015 - 2019 |
||
Moyenne | Percentile 25 | Percentile 75 | ||||
Région sablo-limoneuse | 10 477 | 446 | 23,9 | 18,0 | 28,0 | Différence non significative |
Région limoneuse | 42 270 | 1 160 | 27,0 | 21,0 | 33,0 | - 10 % |
Campine hennuyère | 440 | 3 | 19,3 | 17,5 | 21,5 | Différence non significative |
Condroz | 39 401 | 1 236 | 31,1 | 25,0 | 36,0 | Différence non significative |
Famenne | 39 059 | 506 | 34,2 | 28,0 | 40,0 | Différence non significative |
Fagne | 9 255 | 80 | 30,6 | 25,0 | 35,0 | Différence non significative |
Région herbagère | 44 609 | 2 494 | 43,3 | 38,0 | 49,0 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
Haute Ardenne | 26 400 | 963 | 46,4 | 42,0 | 51,0 | - 3 % |
Ardenne | 71 829 | 1 122 | 38,3 | 33,0 | 43,7 | - 8 % |
Région jurassique | 24 011 | 267 | 28,4 | 21,0 | 34,1 | - 11 % |
Toutes les régions | 307 750 | 8 277 | 36,7 | 29,0 | 45,0 | Différence inférieure à l'erreur de mesure |
* Teneurs observées dans 8 277 échantillons d'horizons de surface de sols sous prairies permanentes (données REQUASUD 2015 - 2019)
** Superficie agricole utilisée (sols sous prairies permanentes, moyenne sur la période 2015 - 2019)
*** Nombre d'échantillons analysés
Des défis à relever
L’amélioration du statut organique des sols agricoles passe par :
- l'augmentation de la production de biomasse végétale sur et dans les sols grâce à une couverture végétale suffisamment dense et pérenne (cultures permanentes, accroissement de la part des prairies temporaires dans les successions culturales, cultures intercalaires telles que les engrais verts et CIPAN[8], cultures associées, haies et bandes enherbées q, agroforesterie intraparcellaire…) ;
- un retour au sol suffisant de résidus ou co-produits de cultures (pailles, feuilles, fanes…), toutefois en compétition avec leur possible valorisation énergétique q ;
- l’apport de MO via les effluents d’élevage, les composts et d’autres matières exogènes[9] sous certaines conditions, toujours dans les limites du respect du Programme de gestion durable de l'azote en agriculture (PGDA)[10] ;
- le développement de techniques culturales permettant de réduire la fréquence du labour et de limiter l’érosion des sols (semis direct, pratiques anti-érosives…).
À l’avenir, ces mesures devraient pouvoir s’appuyer sur un suivi plus fin de la dynamique du carbone dans les sols par des indicateurs complémentaires (fractions grossière et fine de carbone p. ex.)(d), afin de faciliter la prise de décision par les agriculteurs dans un temps plus court. Des défis restent à relever pour développer des mesures renforcées, en particulier pour intégrer les politiques sectorielles existantes (air et climat, eau, sol, déchets, agriculture, énergies renouvelables) dont les enjeux peuvent mener à des contradictions en matière de gestion de la MO et de son retour au sol.
Un rôle à jouer dans la lutte mondiale contre les changements climatiques
Le stockage de carbone par les sols suscite un intérêt particulier dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques. Une partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) pourrait en effet être absorbée grâce à la généralisation des pratiques agricoles citées plus haut, dites "stockantes". Le principe avait donné lieu à l'initiative "4 pour 1000"[11] lancée par la France lors de la COP 21 fin 2015 q. L'impact d'une telle mesure resterait toutefois limité en Belgique par rapport à d'autres pays européens en raison d'émissions de GES élevées par unité de surface (forte densité de population et d'activité économique) et de superficies disponibles relativement faibles pour un stockage accru de carbone (sols agricoles de la ceinture limoneuse au centre du pays)(e). Les données disponibles indiquent pour la Belgique un potentiel de stockage de 0,47 à 0,90 % des émissions totales de GES de 1990 (4,7 à 9 % des émissions du secteur agricole)(f).
[1] Dégradation de la structure des sols sous l'action des gouttes de pluie, entraînant la formation d'une croûte de surface s'opposant à l'infiltration
[2] Voir Chartin et al. (2015)(a) et Chartin et al. (2016)(b)
[3] Teneurs en COT de 39 086 échantillons d'horizons de surface de sols sous cultures et de 8 277 échantillons d'horizons de surface de sols sous prairies permanentes échantillonnés sur la période 2015 - 2019 (données REQUASUD). Les prairies temporaires ne sont pas incluses dans l’analyse.
[4] Ensemble des microrégions du sol en contact avec les racines. Le sol rhizosphérique présente une richesse en composés organiques particulière, favorable à une forte activité microbienne.
[5] Risque d'instabilité des agrégats susceptible de favoriser une dégradation de la structure des sols. Seuil fondé sur les données de la littérature, en particulier l'étude de Shi et al. (2020)(c) portant sur des sols cultivés wallons de la Région limoneuse. À noter qu'à côté des teneurs en COT, d'autres facteurs interviennent dans la stabilité structurale des sols, en particulier la texture et le pH.
[6] L'instabilité structurale n'est qu'une des composantes de la sensibilité des sols à l'érosion.
[7] Base de données Aardewerk
[8] Cultures intermédiaires pièges à nitrate
[9] Digestats, boues de stations d'épuration q… actuellement valorisés selon l’AGW du 14/06/2001 q
[10] Voir la fiche d'indicateurs "Programme de gestion durable de l'azote en agriculture" q et le PGDA III q
[11] Augmentation annuelle du stock de C de 0,4 %, soit 4 ‰, dans les 30 à 40 premiers cm du sol
Évaluation
Etat défavorable et tendance à la détérioration
- Référentiel : seuil de risque d'instabilité structurale de 20 gC/kg établi sur base des données de la littérature, dont Shi et al. (2020)(c)
- Sur la période 2015 - 2019, 90 % des superficies sous cultures (près de 375 000 ha) présentaient des teneurs en carbone organique total (COT) inférieures ou égales à 20 gC/kg.
Entre les périodes 1949 - 1972[7] et 2004 - 2014, les sols sous cultures ont subi une diminution moyenne de 20 % de leur teneur en COT(b). Entre les périodes 2004 - 2014 et 2015 - 2019, intervalle de temps relativement court pour évaluer une tendance, la situation était stable ou en détérioration selon les régions agricoles considérées.